Hein de Haas, La logique de la migration
Extrait
HJein de Haas
La logique de la migration
© 2026 éditions markus haller
Introduction
Telle est l’impression générale : notre époque se caractérise par des mouvements migratoires aussi massifs qu’inédits dans l’histoire. Ce sont les images de « caravanes » de Centraméricains tentant d’atteindre la frontière entre le Mexique et les États-Unis. D’Africains entassés dans des canots pneumatiques s’embarquant pour une traversée désespérée de la Méditerranée. Ou encore de migrants clandestins voulant franchir la Manche et rejoindre la Grande-Bretagne. Comme si toutes confirmaient la peur de migrations incontrôlables. Comme si un cocktail toxique de pauvreté, d’inégalités, de violences, d’oppression, de changement climatique et de croissance démographique galopante poussait toujours plus d’Africains, d’Asiatiques et de Latino-Américains dans des périples toujours plus risqués avec l’espoir, un jour, d’atteindre les rivages de l’Occident opulent.
On nous raconte qu’avec leurs fausses promesses d’emplois et de vies luxueuses, les trafiquants d’êtres humains et les passeurs exploitent la vulnérabilité des migrants. Qu’ils les attirent dans des voyages de plus en plus dangereux et poussent ces pauvres hères — si tant est qu’ils survivent — à se retrouver horriblement exploités dans des conditions proches de l’esclavage. Autant de peurs grossissant les doutes sur la capacité et la volonté des immigrés à s’intégrer aux sociétés et cultures des pays d’accueil. Avec les images de communautés immigrées vivant une « vie parallèle » dans des quartiers ségrégués, appauvris et accablés par une forte criminalité s’est installée une conviction générale : que l’intégration des immigrés est, en règle générale, un échec. Et tout s’est amalgamé dans la notion de « crise migratoire » et son exigence de mesures drastiques — un respect plus strict des frontières, des programmes de réinstallation des réfugiés et une aide au développement pour les pays pauvres.
Tout le monde n’est pas du même avis. En face, de l’autre côté du débat, il y a des politiciens, économistes et activistes nous racontant que la migration n’est pas un problème mais une solution aux urgences que sont les pénuries de main-d’œuvre ou le vieillissement de la population. Ils affirment que nous avons désespérément besoin de migrants pour stimuler la croissance et l’innovation et pour rajeunir nos sociétés. À les en croire, la diversité qu’apporte l’immigration ne serait pas une menace, mais une bonne chose, car elle stimulerait l’innovation et le renouveau culturel. Que l’immigration serait bénéfique pour la croissance des pays d’origine du fait des énormes sommes d’argent que les migrants y renvoient, et du rôle vital des expatriés pour y stimuler le commerce et l’esprit d’entreprise. Que nous avons besoin de travailleurs de tous niveaux de compétences et qu’il faudrait ouvrir nos frontières afin de combler les pénuries, urgentes, de main-d’œuvre.
Le but de cet ouvrage ? Montrer que les idées défendues par les deux camps sont autant de points de vue partiels, simplistes voire carrément erronés sur la migration et qu’ils ne résistent pas aux données factuelles. Afin de surmonter un débat de plus en plus polarisé, ce livre présentera des preuves défiant le simplisme des pro- et des anti-migration. Je vous raconterai une autre histoire, contredisant les idées courantes sur la migration, celles que l’on peut enseigner à l’école et à l’université, et que véhiculent les médias, le commentariat, les organisations humanitaires, les groupes de réflexion, le cinéma, la presse magazine et l’édition grand public. Pourquoi m’être lancé dans une telle entreprise ? Parce que nous avons urgemment besoin d’une vision radicalement nouvelle de la migration, qui ne soit pas fondée sur des intérêts politiques ou des opinions idéologiques, mais qui prenne en compte les réalités de la migration.
Ce livre ne vous présentera pas de vision idéologique de la migration — ni comme problème à résoudre, ni comme solution aux problèmes — mais une tentative de comprendre sa nature et ses causes d’un point de vue scientifique. Par nécessité, ma perspective est holistique en ce qu’elle vise à appréhender la migration comme un élément intrinsèque et dès lors indissociable de processus plus génériques. Soit tous les changements sociaux, culturels et économiques affectant nos sociétés et notre monde, profitant à certains plus qu’à d’autres ou pouvant avoir leurs inconvénients mais qui, dans tous les cas, ne peuvent être éliminés par la seule force de la pensée ou de la volonté.
Mon but est également de répondre aux plus grandes questions en suspens sur la migration. Par exemple, pourquoi les politiciens occidentaux n’ont-ils pas réussi à freiner l’immigration malgré des investissements, massifs et en argent du contribuable, dans la sécurisation des frontières ? Pourquoi y a-t-il toujours de l’immigration clandestine malgré les promesses de ces mêmes politiciens de détruire le business modèle des passeurs ? Pourquoi une telle inefficacité des gouvernements à prévenir l’exploitation des travailleurs migrants, malgré leur engagement, répété, à réprimer sévèrement ces abus ? Pourquoi une telle impunité des politiques à vendre toujours les mêmes fausses promesses — voire des mensonges purs et simples — sur l’immigration ? Et, surtout, quelles politiques pouvons-nous mettre en place pour mieux gérer ce sujet ?
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