Deirdre McCloskey & Art Carden, Laissez-moi faire et je vous rendrai riche

Extrait

Deirdre N. McCloskey & Art Carden
Laissez-moi faire et je vous rendrai riche

© 2025 éditions markus haller

Préface

Notre titre est une petite blague pour initiés, qui renvoie à ce que nous aimons appeler « la question américaine », à savoir : « Puisque vous êtes si intelligent, pourquoi n’êtes-vous pas plus riche ? » (Rires.) Voilà une bonne question, que l’on pourrait poser à tel économiste jouant les consultants pour l’Élysée : pourquoi est-il si pauvre, lui qui prétend savoir, par exemple, à quoi ressemblera la prochaine crise économique, et à quelle date elle se produira ? En pariant sur la récession qu’il a su flairer, il pourrait faire fortune. Pourquoi s’en abstient-il ? Puisqu’il affirme qu’un parc d’éoliennes ferait un excellent investissement dans le secteur de l’électricité – alors même que la France produit une énergie nucléaire bon marché –, pourquoi partager une telle information avec tout le monde ? Et pourquoi n’investit-il pas lui-même dans les éoliennes pour en tirer les bénéfices qu’il promet aux autres ? Pourquoi l’économiste Mariana Mazzucato – aujourd’hui « consultante innovation » pour de nombreux États, du Brésil à l’Italie – ne place-t-elle pas ses honoraires dans les innovations qu’elle perçoit, alors que tant d’investisseurs privés, moins clairvoyants, semblent incapables de les voir ? Dotée d’une telle sagacité, cette experte pourrait pourtant se constituer une fortune vertigineuse, digne d’une héritière Bettencourt, puis la doubler, la quadrupler, et s’acheter une île des Caraïbes et le yacht de 50 mètres permettant de s’y rendre.

Si notre titre retourne la blague comme un gant, c’est que nous sommes tous deux de vrais libéraux – dans la lignée d’un Alexis de Tocqueville, d’un Frédéric Bastiat ou d’un Raymond Aron –, et que nous ne sommes pas assez intelligents pour prédire l’avenir et faire fortune. Oui, tout comme vous, nous savons que le soleil se lèvera demain, et que la France verra sa population décliner si elle cesse d’accueillir des immigrés. De telles prédictions ne rapportent pas un sou, car ce sont des évidences que tout le monde connaît déjà. Pour parler dans la langue des marchés financiers, elles sont « actualisées ». Elles sont déjà intégrées au prix actuel des actions et des obligations, par exemple. La vente à découvert d’une telle prédiction – le soleil se lèvera demain – a peu de chances de vous enrichir. Mais le rêve moderne de l’ingénierie sociale, le « savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir » d’Auguste Comte, est moins modeste que vous et nous, qui admettons volontiers notre incapacité à créer des occasions de s’enrichir. Dans le secteur économique, et dans toute carrière scientifique ou artistique où un prétendu prévoir serait à même, s’il se réalisait, de décupler votre fortune ou votre prestige, l’ingénieur social qui l’énonce mérite bien, par son arrogance stupide, d’être tourné en dérision par notre « question américaine ».

Notre propos est plus modeste : il s’agira ici d’examiner l’histoire des derniers siècles avec des yeux d’économistes et d’historiens de l’économie qui, hélas, ne sont pas riches. Mais vous, chers lecteurs français, vous êtes riches, immensément riches, par rapport à vos ancêtres des Misérables. La capacité de production et de consommation du Français moyen, ou même de l’humain moyen depuis 1830, a augmenté de façon stupéfiante, passant de 2 dollars par jour à 50 dollars par jour et par personne dans le monde entier, et elle continuera sans doute à augmenter et à doubler à chaque génération. Le Grand enrichissement contredit, dans l’histoire économique des deux derniers siècles, toutes sortes de sombres prédictions. Le pessimisme fait recette quand il porte sur la population, l’environnement ou les inégalités. Mais il reste chimérique – et il le restera.

La plupart des thèses qu’on a pu avancer jusqu’ici pour expliquer le Grand enrichissement ne nous semblent pas convaincantes. La plupart méritent qu’on leur oppose en retour la question américaine ; quant aux autres, l’économie toute simple que nous décrivons dans ces pages montrera qu’elles sont trop fragiles pour expliquer l’accroissement de l’économie mondiale (qui a augmenté de 2 500 %, ce qui équivaut au passage de 2 dollars à 50 dollars), sans même parler de l’accroissement, plus marqué encore, de l’économie française.

Alors, comment comprendre une telle augmentation ? Notre explication inédite de la croissance économique moderne tient à une explosion d’idées et d’innovations issues de l’ère libérale. Jamais l’étatisme français du XVIIe siècle n’aurait pu produire un tel résultat. Le libéralisme, après 1789, a poussé des gens ordinaires à s’aventurer, à prendre des risques qu’ils n’auraient même pas pu imaginer auparavant. Et c’est ce qu’ils ont fait dans bien des domaines : nouvelles machines, biologie, institutions, droit de vote des femmes, abandon de l’Empire français, et bien d’autres facteurs encore. Imaginer un nouvel emploi, rêver d’un nouveau salon de coiffure, inventer un nouveau médicament contre le cancer – voilà comment s’est construit le monde moderne. Le libéralisme n’a jamais promis que l’action de l’État garantirait l’égalité des résultats dans le grand marathon de la vie, ni même l’égalité des chances sur la ligne de départ. Aucune de ces deux promesses n’aurait pu être tenue en promulguant des lois de redistribution, compte tenu de la diversité des lieux d’origine des individus et de la variété de leurs compétences. Mais on pourrait mettre en œuvre une égalité de permission, et cela sans délai, en supprimant les millions d’obstacles créés par les spécialistes d’ingénierie économique – les descendants d’Auguste Comte – employés par l’État pour en imaginer sans cesse de nouveaux. L’élimination des obstacles, comme le montrent les faits, permet de tenir en partie les promesses d’égalité des résultats et des chances. Car ce n’est pas l’État qui nous enrichit et nous libère : c’est le libéralisme, c’est le « laissez-moi faire, et je vous rendrai riche », matériellement et spirituellement.

Ce libéralisme économique est né en Hollande, mais aussi, un peu plus tard, en France. Après les frères hollandais de la Court au milieu du XVIIe siècle, les ultralibéraux français du XVIIIe siècle, tels que Pierre de Boisguilbert, François Quesnay, Pierre du Pont de Nemours, le marquis de Mirabeau (1715-1789) et Turgot, ont pris les devants. Prendre les devants. En 1681, quand le contrôleur général des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, proposait aimblement d’aider les commerçants de Paris, ceux-ci auraient répondu, sans doute alarmés par l’idée d’une aggravation des pressions de l’État : « Laissez-nous faire. » Ils auraient pu ajouter : « Merci encore pour cette offre alléchante, Monsieur l’État, mais on se passera de votre planification volontariste et verticale : nous préférons la coopération et la concurrence spontanée, comme le montre par exemple l’évolution des styles de mobilier. » Selon le témoignage de Boisguilbert, un « grand négociant » aurait assuré à Colbert que « l’ardeur de gagner était si naturelle […] que tout irait parfaitement bien ». Côté consommateur, l’ardeur d’acquérir un buffet baroque à bon prix est tout aussi naturelle. L’ébéniste parisien rencontre son futur client, et conclut un marché dont tous deux tireront profit. Des résultats divers : voilà ce que la plupart des gens peuvent obtenir de mieux dans cette situation – et ce qu’ils ont tous, de fait, accepté. Notons qu’ils n’acceptent pas un contrat social à la Rousseau, conçu au sommet de l’État par ceux qui nous gouvernent. Personne n’accepterait, par exemple, un type d’activité unique, uniforme, verticale et planifiée – sauf en situation de guerre, ou dans les aspirations romantiques et utilitaires du nationalisme ou du socialisme.

Se contenter de s’entendre avec autrui, dans une économie et une société libérales, c’est passer pour ennuyeux, minimaliste, bourgeois, suisse. Mais, depuis que la hiérarchie mise en place par l’agriculture arable nous a imposé un maître et des contraintes physiques, depuis que le mouvement pour les libertés qui prévaut depuis deux siècles et demi a mis un terme à nombre des anciennes contraintes physiques exercées par nos maîtres, le bon vieux libéralisme monotone a bien rempli son office. Dans les pays libéraux, il est devenu interdit de battre les marins, les domestiques, les apprentis, les femmes, les enfants et les esclaves. L’égalité de permission qui s’attache au libéralisme authentique aura été notre première, notre dernière et notre meilleure chance d’échapper à une raclée.

« Laissez faire » : cette expression même, si inquiétante pour des étatistes modernes (persuadés que tout doit être planifié par l’État à Paris pour fonctionner correctement), a été conçue en France au début du XVIIIe siècle. L’idée a été reprise par les libéraux de la sphère anglophone, à commencer par des Écossais comme David Hume et Adam Smith, avant d’être réimportée en France par Jean-Baptiste Say.

Autrement dit, le libéralisme authentique peut être français. Cessez de croire qu’un prélèvement de 55 % du PIB pour financer les grands projets de l’État est une idée géniale, ou que vos maîtres parisiens en savent beaucoup plus que vous.

Un véritable libéralisme français est à la fois possible et souhaitable : les pages qui suivent devraient vous en convaincre.

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